Manao ahoana le monde !
Aujourd’hui, le livre choisi est un peu spécial. En effet, j’ai déjà lu pour un livre | un pays des romans bien sûr, et plusieurs recueils de nouvelles. Cependant, j’ai toujours choisi des ouvrages composés de textes tous écrits par le même auteur – mais ça, c’était avant. Avant quoi ? Avant que je ne découvre la collection Miniatures des éditions Magellan et Cie, dirigée par Pierre Astier : elle propose des recueils de récits courts, rédigés par cinq ou six auteurs à chaque fois et regroupés par pays. J’ai vu les couvertures, j’ai vu les résumés, et j’ai tout de suite su que je devais au moins – au moins ! – en lire un exemple pour me faire une idée, tellement ça avait l’air pertinent, intéressant et représentatif. Pourquoi continuer à ne découvrir qu’un auteur par pays, alors que je peux en avoir plusieurs en un seul livre ? J’ai donc fait ma petite sélection dans le catalogue et suite à un sondage sur Twitter, j’ai décidé de commencer par le très joli Nouvelles de Madagascar.
[Madagascar. Pour qui a arpenté les hauts plateaux de l’Imérina, sillonné ce pays de rizières, de forêts peuplées d’une faune fabuleuse, pour qui a côtoyé jour après jour les Malgaches des villes et ceux des campagnes, l’énigme de cette île enchanteresse est encore plus grande. (…) Ce recueil, avec des nouvelles inédites d’auteurs vivant à Madagascar ou en Europe, tous hantés par leur île, ses sortilèges, son histoire ancienne et tous soucieux de son devenir, est une photographie de l’île d’aujourd’hui. La pauvreté, celle des campagnes et celle des villes, l’exode, le tourisme et ses terribles conséquences, la corruption, l’instabilité politique, mais aussi le passé prestigieux, Antananarivo la grouillante « Ville des Mille » : tels sont les sujets de ces textes qui permettent d’aborder la réalité malgache ; ou plutôt quelques-unes des multiples facettes de la réalité de l’immense Île rouge.]
À format spécial, critique spéciale. Ou plutôt critiques, devrais-je dire. En effet, je traiterai cette fois-ci chaque texte séparément, avant de vous donner un avis global sur le recueil (dites-moi si ça vous paraît judicieux, sinon je testerai autrement la prochaine fois !).
¤ Ambilobe, de Raharimanana ¤
Raharimanana était l’auteur que j’avais repéré en premier lieu pour représenter Madagascar dans ma liste ; c’est dire si j’étais contente de pouvoir quand même le découvrir dans ce recueil ! Dans ce court texte, on découvre par la voix du narrateur (qui est de toute évidence l’auteur) la petite ville d’Ambilobe, au nord de l’île, où il est venu en visite. Ce personnage s’adresse directement à nous (« je te raconte donc mon périple à Ambilobe« , « bref, je te raconterai ça une prochaine fois« ) pour nous conter une mésaventure de son voyage : alors qu’il s’apprête à retourner dans sa propre ville – Diégo Suarez – en taxi-brousse, il voit son trajet constamment retardé par toute une série de péripéties et d’interruptions. Cette nouvelle m’a beaucoup plu pour son ton léger – le narrateur relativise la situation pourtant invraisemblable par un regard distancié et (incroyablement) calme (« Est-ce que je devais rire ou pleurer, ou insulter le dieu qui avait créé tout ça et ces foutus Malgaches ? Mais j’ai préféré en rire et me suis dit : Ecoute, mon petit, tu es un grand écrivain, et la fatalité et le destin se sont cotisé les sorts pour qu’il t’arrive plein d’histoires à raconter, donc tout ça, c’est encore un coup des dieux des contes et sornettes.« ) – qui contraste avec le pittoresque de son contexte. En suivant le trajet du taxi, on voit ainsi défiler les paysages d’une ville pauvre, en état de délabrement assez avancé : les routes sont quasiment impraticables, les maisons sont au mieux « des baraques en bambous minables« , les « zébus broutent à côté des sacs en plastique« … Une réalité physique qui se dévoile en contrepoint à l’intrigue, apparaissant alors comme un décor « banal » pour les habitants – mais pas pour nous occidentaux ! Plus discrètement, cette nouvelle évoque aussi la rivalité sous-jacente entre malgaches pure souche et métis arabes. Toutes ces informations distillées indépendamment permettent de reconstituer un portrait révélateur de la réalité malgache, ce qui fait de ce texte un excellent début pour le recueil. J’ai de plus vraiment apprécié la plume de l’auteur, familière et rythmée : son ton bourru nous invite à nous plonger plus avant dans le livre et nous met en condition pour la suite. Un plaisir !
¤ Destins, de Jean-Pierre Haga ¤
Totalement différente de la précédente mais tout aussi sympathique, Destins nous présente Bera, sans-abri qui (sur)vit dans les rues d’Antananarivo, capitale de Madagascar. Plus qu’amateur de rhum, vivotant au jour le jour grâce à de menus travaux sur les marchés, il voit sa vie bouleversée lorsqu’il se retrouve sans le vouloir mêlé à l’Histoire du pays. En effet, cette nouvelle a un ton résolument plus social : ici, on parle politique, crise, lutte de pouvoir, mais d’un point de vue totalement objectif. Le personnage de Bera n’a clairement aucun intérêt pour les troubles qui peuvent agiter sa ville, et traverse les événements porté par l’alcool, sans vraiment y prêter attention (vraiment vraiment : « En sortant de la petite rue, il se cogna à un panneau de signalisation mais, baignant dans une anesthésiante euphorie, il fit comme si de rien n’était et reprit son chemin vers nulle part. La route de Nulle Part menant partout, il fut tout surpris de se retrouver sur la place du 13-Mai.« ). Et pourtant, le contexte est la clé de ce récit, et l’on y découvre une histoire récente tumultueuse, faite de conflits et de déchirements politiques. En arrière-plan, ce que je pense avoir reconnu – puisque rien n’est daté ni vraiment nommé – comme étant les révoltes populaires de 2009 (et plus particulièrement l’épisode sanglant du 7 février, qui a fait 28 morts et presque 10 fois plus de blessés alors que la foule marchait sur le palais présidentiel). Et au premier plan, le parcours d’un homme désabusé, que les méandres de la vie vont entraîner vers « un destin glorieux et étonnant« (aidé par les médias, présentés dans toute leur absurde influence sur l’Histoire). Encore une fois, j’ai beaucoup aimé le style de l’auteur, un peu décalé, efficace et fluide. Une excellente nouvelle, qui m’a captivée et a aiguisé ma curiosité : tout ce que j’aime !
¤ Le Rebelle, d’Alexandra Malala ¤
Celui qui parle, le rebelle, est un jeune homme originaire des hauts plateaux de l’Imerina, au centre de Madagascar. Pour se conformer aux souhaits de ses parents et se montrer digne de leurs sacrifices, il doit tout quitter pour partir étudier en France et devenir pasteur. Pour être franche, je dois reconnaître avoir moins apprécié ce texte : j’ai notamment moins accroché au style de l’auteure, assez poétique mais moins « vivant » que les deux précédents (exemple avec l’introduction : « L’eau des cascades qui tombe sur la roche joue une douce mélodie, la mélodie de mon enfance, la mélodie de mon adolescence. Le souffle du vent fait danser les feuilles des arbres. Leur bruissement ressemble à un message, un message de la nature, des mots qui peut-être me racontent mon futur.« ). À mon grand embarras, les doutes et les péripéties du personnage m’ont laissé plutôt indifférente ; j’ai préféré me concentrer sur son environnement que sur ses pensées. Et effectivement, on peut ici discerner un nouvel aspect de la culture malgache : le culte des ancêtres. En plus de décrire avec tendresse et lyrisme les paysages que traverse le protagoniste, Alexandra Malala parsème son texte de mots en malagasy, ou de proverbes illustrant l’importance des anciens dans la vie de tous les jours (« – J’aurais voulu rester. Je suis heureux ici, rétorqué-je. – Izai adala no toa an-drainy, réplique-t-il à la fois compatissant et mécontent. À cette phrase révélant sa volonté de me voir réussir, je me tais. Il a raison. Comme le dit le proverbe, la nouvelle génération doit toujours mieux faire que la précédente.« ). Ce côté un peu folklorique est unique dans le recueil, et donne heureusement un caractère particulier à cette nouvelle qui sans cela m’aurait vraiment laissée sur ma faim.
¤ Antananarivo, qu’est-ce que j’ai foutu tout ce temps ? de Johary Ravaloson ¤
Ce texte-ci m’a vraiment surprise : fragmenté et percutant, il se démarque des nouvelles précédentes. En effet, l’auteur décompose ici son récit en sept petites histoires qui nous permettent de découvrir, très brièvement, différents personnages menant leurs vies à Antananarivo. Alternance de points de vue (parfois je, parfois il) et de personnalités, l’ensemble est haut en couleurs. Les exclamations fusent, émotions exacerbées : colère, agacement, luxure, on passe par tous les états et par un certain nombre de thèmes. Dans ces petits éclats de vie, on assiste à des mensonges et à des révélations, et on découvre encore une nouvelle facette de la vie malgache : la corruption (évoquée dès le début : « Il faut que tu dises ça également au mari de ta cousine-là, celui qui vient d’être nommé ministre. Il devrait nous arranger la route jusqu’à nos terres (…) Il me confiera quelques dossiers…m’enfin, quelques trucs, quoi, un emploi fictif, une voiture, un 4×4 de service… Hein ! Tu lui diras ?« , et ça revient plus tard : « Il était vraiment balèze, j’ai sorti mon flingue. Le commissaire m’a relâché. Il ne pouvait rien contre moi, je suis conseiller du président.« ). J’ai aussi aimé la plume de l’auteur, qui ne cesse de se renouveler pour aboutir par moments à de très beaux passages comme celui-ci : « Les lumières de la ville répondent au chant des étoiles et charment les yeux de l’homme collés à la baie vitrée du restaurant. – C’est exactement pour ça que je suis là, apprécie-t-il. Pour regarder ça ! Cette fois-ci, les étoiles rient franchement.« . Un joli texte en somme, qui nous raconte une ville aux mille voix.
¤ Le Charretier et la Mercedes, d’Esther Randriamamonjy ¤
Honnêtement, je dois dire que ce texte est celui qui m’a le moins marquée dans le recueil. Très court (huit pages et demie), Le Charretier et la Mercedes m’a donné l’impression dépaysante de lire un conte – ceci étant dû à la fois à son écriture et à son titre, qui m’a irrésistiblement fait penser à celui d’une fable de La Fontaine. L’histoire est celle d’un homme pauvre, livreur-transporteur d’objets, qui un jour croise le chemin d’un riche (et malpoli) conducteur de Mercedes. Copieusement insulté par celui-ci car il bloque le passage, il sera plus tard le seul à pouvoir sortir ce même privilégié d’un ennui. Le message véhiculé prend la forme d’un impertinent « Rien ne sert de courir, il faut partir à point », et fait au passage un pied de nez à une élite qui se croit toute permise : réjouissant dans l’idée. Cependant, je n’ai pas accroché au style de l’auteur, que j’ai trouvé un peu plat. Les personnages à la personnalité somme toute peu marquée n’ont pas su me plonger dans l’histoire, ce qui m’a incitée à passer assez vite sur ce texte.
¤ Je me déserte..., de Magali Nirina Marson ¤
Et là…c’est le coup de coeur ! Je ne suis même pas sûre de pouvoir rendre suffisamment justice à cette dernière nouvelle, tant elle m’a touchée, surprise et captivée. Dans ce texte, l’auteure nous invite à faire la connaissance d’Aina, jeune fille passionnée et pleine de doutes, marquée par la vie et les épreuves qu’elle a vécues. Sous forme de flash-backs et au gré des pensées d’Aina, l’histoire nous fait remonter le fil du temps et dévoile les aspects les moins reluisants de la capitale malgache : misère (« Être pauvre, c’est hurler de toutes ses forces avec de la poussière plein dans la bouche, le nez, sans personne, même dans les étoiles, là-haut, qui s’arrête, même s’il t’entend et te voit, pour t’aider et que le mal s’arrête… C’est juste pouvoir se sentir misérable et impuissant total ; et ne pouvoir rien faire d’autre que ce que le riche te dit, parce que tu n’es rien et que tu ne veux pas disparaître comme ça. »), tourisme sexuel, maladie, conflits de classes sociales… Des thèmes forts, servis par une écriture unique. J’ai tout simplement adoré la plume de Magali Nirina Marson : sa parfaite cohérence avec le personnage et l’histoire, les mots de malagasy qui parsèment les phrases, et surtout les petites expressions qui rendent le tout encore plus vivant et crédible (« l’argent rare et l’alcool, ça casse les hommes et ça les rend violents. Ça enlève leur masque doux-miel et ça les rend eux-mêmes, je crois... », « il a réussi à rester loin de ces guerres-là. Il a gardé-lavé-voitures, comme avec papa ; puis il a porté-paquets des dames qui faisaient leur marché pas loin de là« …). Chacun des personnages secondaires a pris vie sous mes yeux et m’a véritablement émue, même ceux qui ne sont mentionnés qu’en quelques lignes. Je ne m’étendrai pas plus longtemps sur cette nouvelle incroyable, pleine d’humanité et d’émotion : j’ai été très heureuse de finir sur celle-ci, même si je n’avais pas envie qu’elle se termine, et je ne peux que vous recommander de la lire pour en savoir plus.
Voilà voilà, comme d’habitude c’est long (désolée ! je ne sais pas m’arrêter d’écrire) mais assez simple à résumer. J’ai vraiment apprécié ce recueil qui m’a donné énormément envie de découvrir plus avant le travail des auteurs, notamment Raharimanana, Jean-Pierre Haga et bien sûr Magali Nirina Marson. J’ai trouvé le format particulièrement intéressant puisqu’il n’est pas si facile que ça de se procurer des textes malgaches : j’ai été conquise par la collection Miniatures et je suis maintenant certaine que j’en lirai d’autres ouvrages. Je ne peux par ailleurs que vous conseiller Nouvelles de Madagascar comme introduction à cette littérature méconnue et peu accessible, pour la beauté de l’objet-livre et pour la représentativité et la qualité des textes choisis.
> La prochaine lecture sera La miséricorde des coeurs, de Szilárd Borbély.
> coll. (Raharimanana / HAGA, Jean-Pierre / MALALA, Alexandra / RAVALOSON, Johary / RANDRIAMAMONJY, Esther / NIRINA MARSON, Magali) – Nouvelles de Madagascar, éditions Magellan et Cie.
> rédigé au son de « Ry Tanindrazanay malala ô » .