Terve le monde !
Le week-end dernier, j’ai demandé à mon frère de choisir le pays qui suivrait l’Argentine pour mon challenge…pour quelle raison a-t-il choisi la Finlande ? Très certainement parce qu’une des choses qu’il faut savoir sur moi, c’est que je suis fascinée par ce pays, et ce depuis des années. Ne me demandez pas pourquoi, je ne saurais pas exactement l’expliquer. Cela vient sûrement de mon attrait pour les pays du Nord de l’Europe de manière générale, ça tient aussi probablement au fait que c’est le pays d’origine que j’avais choisi pour les personnages d’une des premières histoires que j’ai écrites. En tout cas, depuis, je rêve de visiter la Finlande (j’ai même appris quelques mots de finnois) et quand je me suis aperçue suite à ce choix que je ne m’avais même pas de livre finlandais dans ma liste, je me suis empressée d’y remédier. Pour son résumé prometteur et son titre intriguant, j’ai choisi une oeuvre d’un des auteurs contemporains d’expression finnoise les plus connus : Le lièvre de Vatanen d’Arto Paasilinna.
[Vatanen est journaliste à Helsinki. Alors qu’il revient de la campagne, un dimanche soir de juin, avec un ami, ce dernier heurte un lièvre sur la route. Vatanen descend de voiture et s’enfonce dans les fourrés. Il récupère le lièvre blessé, lui fabrique une grossière attelle et s’enfonce délibérément dans la nature. Ce roman-culte dans les pays nordiques conte les multiples et extravagantes de Vatanen remontant au fil des saisons vers le cercle polaire avec son lièvre fétiche en guise de sésame. Il invente un genre : le roman d’humour écologique.]
On suit donc le parcours de Vatanen, qui d’un coup d’un seul, sans vraiment d’explication, décide de lâcher une vie ne correspondant décidément pas à ce dont il rêve : il plante son collègue en pleine cambrousse et dans la foulée quitte son travail, sa femme, et les sentiers battus. Ce début un peu fou m’a agréablement surprise, surtout sachant que c’est la partie que j’ai au final trouvée la plus ouvertement « humoristique ». En effet, la façon qu’il a de prendre sa décision est déjà rocambolesque, mais en plus son « évasion » ne se fait pas si simplement que ça. Dans un premier temps, on a un quarantenaire avec tout de même un entourage et un boulot qui disparaît dans l’indifférence générale (mais franchement, hein : « Le photographe suggéra que Vatanen avait peut-être eu un accident. De Helsinki, on le rassura : « Reviens donc. Que veux-tu qu’il lui soit arrivé, et puis c’est son affaire. – Et si je prévenais la police ? – Que sa femme le fasse si elle veut ; elle est au courant ? – Oui, mais ça lui est égal. – Eh bien, cette histoire ne nous regarde pas non plus vraiment. »« ) puis tout le petit monde cité dans cet extrait change d’opinion et décide de le faire revenir à son train-train. S’ensuit une courte et cocasse scène de chassé-croisé entre Vatanen, son collègue photographe, son responsable et sa femme dans les rues d’une petite ville, qui m’a étonnée par son rendu très burlesque par rapport au reste du texte.
En effet, après cette parenthèse extravagante et à part pour une deuxième digression stylistique plus avant, l’histoire prend un rythme plus paisible, berçant. Bien sûr, Vatanen rencontre de nombreux imprévus (ça va du feu de forêt au quasi-coma éthylique, pour dire) et des personnages tous plus inattendus les uns que les autres. Bien sûr, on retrouve ainsi la galerie d’extraordinaires olibrius qui peuple la plupart des récits de ce genre (mettons, récits de voyage déambulatoire initiatico-comique) : ici, un comparse pêcheur à tendance complotiste, un vieux bûcheron boit-sans-soif, des animaux un peu partout (vaches, ours, corbeau…)… Néanmoins, j’ai surtout l’impression de m’être laissée porter par la plume d’Arto Paasilinna dans un univers bucolique, rempli de braves gens. Même quand Vatanen se fait arrêter, les représentants de la justice se montrent complaisants, et il peut s’inviter chez tout le monde pour manger sans problème. Cela donne l’impression d’une Finlande conviviale, tolérante, charmante.
Et pourtant, il y a aussi des passages bien plus déplaisants : dès que le héros se retrouve en présence de trop de monde, tout dérape. Si il s’installe en ville, il se retrouve mis en danger gratuitement par des individus qu’on ne peut qualifier d’autre chose que de détestables. Si il est en Laponie mais y est rejoint par un groupe de dignitaires et de militaires, il se fait presque voler son lièvre et accuser de tous les maux. On sent clairement que les citadins ne sont pas les bienvenus dans cette histoire, qui devient de fait une vibrante ode à la solitude… et au monde rural (cela passe notamment par la valorisation du travail manuel, une ambiance d’autant plus chaleureuse qu’il y a peu d’habitants…). L’écriture d’Arto Paasilinna convient tout à fait au style de cette oeuvre : simple, sans prétention ni fioritures, elle est très naturelle. Ici, pas de grosses punchlines bien senties qui poussent à réfléchir, pas de formules alambiquées aux multiples figures de style. La narration est fluide et la réflexion naît toute seule de par les thèmes abordés par le texte.
Beaucoup de choses m’ont plu dans ce récit, et ont contribué à faire de cette lecture un joli moment. Malheureusement et malgré ses points forts, je n’ai pas eu le coup de coeur espéré pour ce livre. Peut-être parce que son résumé m’avait laissé présumer d’une délirante épopée à la Jonas Jonasson (je pense notamment à L’analphabète qui savait compter, qui m’avait conquise), ou peut-être simplement parce que je souhaitais vraiment avoir une révélation pour la littérature finlandaise ? En tout cas, j’avoue avoir été (un petit peu, il ne faudrait pas exagérer !) déçue.
C’est une belle fable sur la nature, porteuse d’une intéressante représentation de la Finlande (notamment visuellement, car l’on peut assez bien se représenter les paysages) ; on s’attache d’ailleurs presque plus au pays en lui-même qu’au personnage de Vatanen, voyageur sans réel but sinon celui de s’éloigner de ce qui faisait son passé. Pour autant, je n’y ai pas vu le roman « écolo » (ce qui pour moi implique un aspect militant pro-environnement) évoqué dans le résumé. Vatanen a beau être bien mieux loti lorsqu’il est seul avec la nature (représentée d’ailleurs en permanence par son lièvre), il s’y confronte aussi parfois assez violemment et sans sembler en ressentir de remords. De mon côté, j’ai plus trouvé dans ce livre l’expression d’un désamour de la société humaine (et de ses implications, qu’il s’agisse de l’hypocrisie politique ou de l’injustice qui peut exister au quotidien entre différentes classes de la société par exemple) qu’une défense de la faune et de la flore. Cela n’en est pas moins intéressant, bien sûr, mais n’est pas ce à quoi je m’attendais au vu de la quatrième de couverture.
Il est possible que je sois passée à côté de certaines significations plus profondes de ce roman, qu’honnêtement j’ai lu en tant qu’innocent divertissement. Pour autant, je sais déjà que je garderais longtemps le souvenir de cette lecture sympathique et reposante, qui m’a promenée d’un bout à l’autre de ce pays que je rêve de découvrir « en vrai ». Avec son histoire modeste et son aspect initiatique, Le lièvre de Vatanen m’a fait passer un agréable moment ; il a aussi su me donner des éléments de contexte véridiques tout en gardant ce côté un peu surréaliste qui lui donne tout son charme. Pour finir dans l’amour et la joie, je laisse les phrases de fin au lièvre lui-même, parce qu’il ne faudrait pas oublier que tout part de lui, et que l’aventure peut tenir à peu de choses… « Sur une petite colline exposée au soleil, un jeune lièvre s’essayait à bondir ; dans l’ivresse de l’été il s’arrêta au milieu de la route, debout sur ses pattes de derrière ; le soleil rouge encadrait le levraut comme un tableau.« (et la phrase bonus, un chouïa plus loin : « Le lièvre se protégeait la tête entre ses petites pattes de devant, ses oreilles tremblaient tant son coeur battait fort. », « entre ses petites pattes » quoi, j’avoue, j’ai craqué).
> La prochaine lecture sera le recueil Nouvelles de Madagascar, aux éditions Magellan & Cie (détails ici).
> PAASILINNA, Arto –Le lièvre de Vatanen, Gallimard, Folio – traduit du finnois par Anne Colin du Terrail.
> rédigé au son de « Maamme » .