[journal] 26 – belgique

Goeiedag le monde !

Bon. Normalement, ceci devait être un article sur L’amie prodigieuse d’Elena Ferrante, direction l’Italie. Cependant, après l’avoir lu (et aimé) je me suis aperçu que je n’avais pas grand chose à en dire : j’ai trouvé les personnages attachants et l’histoire prenante (d’ailleurs j’ai bien envie de lire la suite), mais je n’étais pas assez hypée pour en faire un article un livre | un pays – surtout après l’avoir vu et revu partout. Si vous voulez en lire une critique, je vous invite à diriger vos pas vers le blog de Cassandra par exemple, ici (je pense tout pareil qu’elle). Et en attendant qu’à cela ne tienne, je vous emmène dans un autre coin de l’Europe avec Fromage de Willem Elsschot.

[Frans Laarmans, modeste employé à Anvers, se retrouve soudain représentant d’une entreprise hollandaise de fromage d’Edam, avec dix mille fromages en dépôt dans sa cave… Bien vite, les désillusions s’accumulent. Cette satire particulièrement savoureuse du monde des affaires est aussi une évocation brillante des années 30.] 

Ce résumé vous semble laconique ? Pourtant il représente parfaitement l’intrigue de Fromage. Ici, point de péripéties rocambolesques ou de descriptions alambiquées : tout est épuré, simple, concis, et pourtant particulièrement efficace. En refermant Fromage, j’avais le sentiment d’avoir terminé un roman vide voire creux, racontant une histoire plate à l’action quasi-inexistante – pas le plus enthousiasmant, vous serez d’accord. Et cependant, en y réfléchissant un peu et en lisant la postface de Willem Elsschot, j’ai commencé à voir les choses autrement.

Appuyé sur son style qui va droit au but, l’auteur nous propose une plongée désillusionnée dans le monde du commerce : en effet, le personnage de Frans est tout ce qu’on pourrait imaginer de pire pour un businessman ! Influençable au possible et complètement paumé, il se laisse porter avec une insoutenable apathie et s’agite en tous sens sans rien accomplir. En même temps, normal : il n’est pas du tout qualifié et s’est retrouvé là au piston, catapulté à un poste qui ne l’intéresse pas plus que ça et qui ne fait aucun sens dans son parcours. Du coup, forcément, pendant 150 pages Frans galère… et ne fait pas grand chose pour arranger son cas, se perdant dans les détails et se posant des questions existentielles à longueur de temps.

La question du papier à lettre me tourmenta pendant une demi-journée. En effet, j’étais d’avis qu’un nom de société moderne devait y figurer, et pas simplement Frans Laarmans, sans plus. (…) Jamais je n’aurais soupçonné que le choix d’un nom de société pourrait être si ardu. Pourtant, des millions de gens moins intelligents que moi avaient bien fini par sauter l’obstacle. Quand je vois le nom d’une société existante, il me paraît toujours très banal, déjà connu pour ainsi dire. Ces gens ne pourraient décidément avoir d’autre nom que le leur. Mais où donc trouver un nouveau nom ?

Ça paraît laborieux ? Vous ne croyez pas si bien dire ! Et surtout cela donne un livre entre lenteur insupportable et tension dramatique : on sait que Frans va droit à l’échec, tranquillement, et on a donc l’intuition que ses – faibles – efforts sont infiniment vains… et pourtant, on espère quand même.

Or on ne devrait pas, voyez un peu ce passage qui exprime la quintessence de Frans :

L’achat des fleurs fut aussi pénible que celui de mon bureau. Le fleuriste avait en magasin trois sortes de chrysanthèmes : des petits, des moyens et des grands, très grands, grands comme des miches de pain. J’ai eu beau loucher sur les petits, il m’a quand même vendu les grands – douze pièces, pas moins. Il a entortillé le tout dans un papier blanc immaculé, puis m’a mis à la porte avec ce gigantesque emballage qui se voit à des kilomètres. Traverser la ville en pareil équipage, c’est impossible. Non vraiment, je ne peux pas, même si une visite au cimetière inspire le respect. Cette gerbe démesurée me couvre encore plus de ridicule que le saint Joseph en plâtre. Personne n’achète une telle quantité de fleurs. On voit bien que j’ai été roulé. Un taxi, donc.

É-pui-sant. En bref, je retiens de Fromage un sentiment mitigé, entre déception quant à l’histoire et impression (un peu contradictoire) d’avoir découvert une plume experte et incroyablement maîtrisée car produisant exactement l’effet voulu. Derrière l’existence planplan de Frans se dessine également une critique subtile du népotisme et sûrement bien d’autres choses en filigrane à côté desquelles je suis un peu passée, et je me demande si ce livre ne mériterait pas une seconde lecture à l’avenir, avec un regard plus aiguisé. Et vous, qu’en penserez-vous ?

> ELSSCHOT, Willem – Fromage, Le Castor Astral – traduit du néerlandais par Xavier Hanotte.
> rédigé au son de « La Brabançonne » .

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