[journal] 10 – hongrie

Jó napot le monde !

Quelle lecture en demi-teinte que cette excursion en terre hongroise ! Car autant le dire tout de suite, je suis plutôt perplexe au moment où j’écris cet article : je ne sais pas vraiment si j’ai aimé ou non La miséricorde des coeurs, de Szilárd Borbély… un livre atterri un peu par hasard dans mes mains à la bibliothèque où je travaille, et que j’ai mis (beaucoup trop) longtemps à terminer malgré son peu d’épaisseur.

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C’est l’instant pitch : [Dans le nord-est de la Hongrie, douze ans après la répression de l’insurrection de 1956, une famille multiplie les efforts pour subsister quotidiennement. Le jeune fils observe et rend compte des réactions de ceux qui l’entourent : sa mère – fille d’un koulak -, son père – fils du seul Juif rescapé du village -, sa grande soeur et son petit frère, sa tante, ses grands-parents et les gens du village. Son récit permet de reconstituer l’histoire de cette famille et, en filigrane, celle de la Hongrie depuis le début du XXe siècle : les traumatismes provoqués par les affrontements de la Grande Guerre, le retour des rescapés du goulag ou les mesures communistes d’expropriation des terres…]

Un résumé prometteur, pour une histoire qui semblait rassembler tout ce qui m’intéresse dans mon challenge un livre | un pays : de l’Histoire, à l’échelle nationale et à l’échelle humaine, avec immersion dans la vie quotidienne d’un lieu fort différent de la France et dans une époque-clé de la (re)construction d’un pays… Et pourtant, j’ai eu tellement (tellement) de mal à accrocher ! La structure, curieusement, m’a fait penser à celle de My First Sony (si ça ne vous dit plus rien, cliquez pour vous rafraîchir la mémoire). En effet, elle lui est ici très similaire au premier abord : on retrouve un jeune garçon qui raconte l’histoire de sa famille, tout en déroulant en arrière-plan les histoires de ses parents et de ses grands-parents, intimement mêlées à celle de leur pays. On retrouve une structure narrative décousue, non chronologique, et un récit qui s’étale sur plusieurs années dans le désordre (on ne peut reconstituer complètement l’histoire qu’une fois arrivé à la fin, en ayant une vue d’ensemble), on retrouve même la subjectivité naïve de la voix du narrateur. Et pourtant, au final, le tout a un rendu tout à fait différent – et malheureusement c’est un rendu qui m’a moins plu. Les différents passages sont liés d’une façon qui m’a paru peu fluide, parfois se répètent : on ne suit pas vraiment un processus de pensée qui mènerait d’un événement à l’autre, et on a plus l’impression d’une succession de très courts épisodes, comme un feuilleton qu’on aurait rassemblé. Les phrases, au lieu de s’étirer à l’infini comme dans cette autre histoire, sont courtes et efficaces, rythmant tout autant le texte mais d’une façon plus syncopée.

Le style m’a également particulièrement déstabilisée : poétique à certains moments (« Le canal, nous l’appelons creusé. La plaine y est encore assez proche des montagnes. On les distingue encore, comme un voile bleuissant accroché à l’horizon. Ici, l’eau dévalant les montagnes veut encore se dépêcher, mais elle se heurte à des résistances et elle est contrainte de faire des détours. (…) Vu d’en haut, on dirait qu’on tire un fil d’un ruban : le tissu bleu des rivières et des riviérettes fait des boucles. Pour devenir des entrelacs à ruchés et à volants.« ), il est à la limite du gore à d’autres, avec des scènes très crues. Cette alternance est tout à fait pertinente pour le sujet traité – un récit de vie sans fard, illustrant une réalité impitoyable – mais ne m’a pas aidée à rentrer dans le livre.

Au niveau du fond, on ne peut qu’apprécier la précision des références, très nombreuses, à l’Histoire hongroise et à la vie villageoise au siècle dernier. On découvre ainsi un monde de misère, de conflits religieux et politiques (les grands-parents du personnage ont connu deux guerres mondiales et de profonds changements de régime régulièrement évoqués dans le récit), de discrimination, un monde triste et révoltant dans lequel chacun se bat pour survivre. Le narrateur est un personnage attachant, qui jette un regard lucide sur ce qui l’entoure, et dont on sent qu’il souffre sans qu’il ait besoin de l’exprimer par des mots. Dans un environnement malsain, entre un père alcoolique et absent et une mère aux tendances suicidaires, il tente de se frayer un chemin vers l’âge adulte. Au fil de l’histoire, on en apprend beaucoup sur sa famille, et surtout sur lui. Notre narrateur a des tics, dort mal, est maltraité par ses camarades, « tressaille de peur quand [il] voi[t] la lettre j » , est obsédé par les nombres premiers (« Nous marchons et nous nous taisons. Trente et un ans nous séparent. Trente et un est un chiffre indivisible. Trente et un ne se divise que par lui-même. Et par l’unité. Voilà la solitude qui nous sépare. Impossible de la fractionner. Il faut la trimbaler en son entier. Mon père est toujours de mauvaise humeur.« )… Dans la multiplicité des détails on apprend à aimer cet enfant perdu, et se révèlent également des personnages plus troubles, aux existences sordides et immuables – Máli, Mémé Juszti…

J’ai apprécié la qualité ethnographique de l’oeuvre, et également la perspective particulière apportée par le narrateur. Néanmoins, j’ai eu un mal fou à entrer dans l’histoire, et j’ai dû me forcer pour avancer dans cette lecture : j’en ai même été, de fait, un peu dégoûtée sur la fin, stagnant dans ce récit sombre et désenchanté sans parvenir à vraiment me laisser emporter par le style de l’auteur. Néanmoins, j’ai constaté que beaucoup de personnes avaient un avis positif sur ce livre (c’est d’ailleurs ce qui m’a convaincue de le choisir) et si je ne le conseillerais pas comme première lecture hongroise, il permettra aux curieux de découvrir et la Hongrie et l’oeuvre de Szilárd Borbély, plutôt connu pour sa poésie. En bref, une lecture qui ne m’a vraiment pas convaincue (la première !) mais que je suis satisfaite d’avoir terminée et qui m’aura fait découvrir une facette de la Hongrie que je ne soupçonnais pas – et rien que pour ça, ça valait la peine de la finir.

> La prochaine lecture sera le recueil Nouvelles de Tunisie, aux éditions Magellan & Cie (détails ici).

> BORBÉLY, Szilárd – La miséricorde des coeurs, Christian Bourgeois Éditeur – traduit du hongrois par Agnès Járfás.
> rédigé au son de « Himnusz » .

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