Bonjour à tous !
Ça y est, le mois de juin est arrivé et avec lui de nouvelles lectures. Pour bien commencer, je vous propose de découvrir Habeas Corpus, un roman difficile à classer – thriller d’anticipation ? – mais non moins intéressant. Victor Boissel, l’auteur, m’a proposé de le lire en service presse, et c’est avec plaisir que j’ai accepté (merci Victor !). Il nous offre dans son ouvrage une vision glaçante du futur, tout en questionnant nos valeurs et notre société actuelle. : une lecture fascinante mais dont certains aspects m’ont également un peu moins plu.
Et… résumé ! [La jeunesse et la beauté, deux richesses qui d’ordinaire ne font que se dissoudre dans le temps. Mais dans le monde où vit Edgaar Finker, la jeunesse et la beauté forment la monnaie avec laquelle on rémunère ceux qui accomplissent de grandes choses. Un monde idéal, à bien des égards, un monde sans pauvreté, ni crime, ni police, un monde où le bonheur du plus grand nombre est la préoccupation de chaque instant.
Or un jour une main meurtrière frappe et une victime tombe. L’impensable est commis. Un meurtre. Il n’existe ni méthode ni institution pour l’élucider.
Edgaar Finker, le fonctionnaire qui a découvert le corps, se voit chargé de l’enquête. Il s’engouffre alors dans un dédale d’aventures qui lui révèleront les entrailles de ce monde à la plastique irréprochable.]
Ce que je retiens surtout de ce livre, c’est la profonde intelligence à la fois du propos et de la manière dont celui-ci est amené. L’enquête menée par Finker est structurée avec méthode et surtout avec maîtrise : l’auteur entretient jusqu’au bout le suspense, et ne laisse pas de temps mort. En alternant les points de vue des différents personnages qui sont au final plus liés que l’on ne pourrait le penser au premier abord, il renouvelle sans cesse les problématiques et donne un aperçu très complet de l’univers qu’il a créé. Un univers complexe, à la fois intrigant et inquiétant, et qui laisse au bord du malaise sans que l’on sache pourquoi au début. Les valeurs de cette nouvelle société ? Jeunesse et beauté (et accessoirement richesse, pour pouvoir s’offrir les deux premières), qui sont supposées conduire leurs possesseurs au bonheur. Dans le monde de Habeas Corpus, vous pouvez disposer de votre propre corps, le bazarder et en changer si vous avez suffisamment d’argent pour payer la transplantation de votre esprit dans un autre organisme, et même décider de vous faire incinérer vivant si vous ne souhaitez plus vivre. Les jeux en réseau sont universellement reconnus comme une alternative à la dure réalité, anesthésiant les masses et annihilant tout mécontentement. L’Etat subvient aux besoins de tous, entité dominante et dominatrice et dont les dirigeants cumulent les pouvoirs.
A travers ses protagonistes, leur histoire et leurs actes, Victor Boissel questionne son lecteur – et au sens propre ! L’Ascète, par exemple, personnage assez mystérieux (et mystique) qui vit en retrait de la société tel un ermite futuriste, incarne à la perfection cet aspect très philosophique du livre. Ses prises de parole, toujours précises et réfléchies, interrogent à la fois son interlocuteur et le lecteur sur des questions morales, éthiques, sociétales (par exemple avec un passage renversant sur le Bien et le Mal : « L’Ascète contournait la fougue du Prédicateur qui ne pouvait pas être attaquée frontalement. Il se contentait de poser des questions, des questions difficiles. Les questions aux réponses évidentes sont dangereuses. (…) Comment dessiner ou redessiner les frontières du Bien et du Mal ? (…) Le gouvernement est élu par le peuple. Mais le peuple n’est ni qualifié pour la gouvernance, ni pour le choix des dirigeants. Alors les candidats corrompent le peuple. Et le peuple corrompu élit les meilleurs corrupteurs. Et ce système est conjointement défendu par les corrupteurs et les corrompus, il est baptisé « démocratie ». Est-ce un bien ou un mal ?« ). De même, le Prédicateur Monnereau bouscule la vision communément admise de la démocratie et examine la politique d’un oeil éminemment critique. J’ai été absolument bluffée par la qualité et la profondeur des dialogues ; pas un mot n’est en trop ni ne manque, et on ressent parfaitement la pénétrante réflexion de l’auteur. Je ne saurais trop insister sur ça, car c’est véritablement une des choses qui ont fait toute la valeur et l’intérêt de ma lecture. La plume de Victor Boissel sert à merveille son sujet : élégante (cet imparfait du subjonctif placé d’une main de maître a réjoui mon petit coeur d’apprentie linguiste), efficace et parsemée d’expressions tout à fait parlantes, elle est très agréable à parcourir (n’est-ce pas fort joli ? « C’était bien la démesure qu’inspirait la scène. Tout ce qui est fini est, relativement, grand ou petit, mais là, dans un univers fini, dans un monde fini, dans une chambre finie, deux corps finis tutoyaient l’infini avec une sérénité insolente. »).
Et pourtant, j’ai malheureusement été freinée dans mon appréciation par plusieurs points. Tout d’abord, et je ne m’y attendais pas vraiment, j’ai trouvé au fil des pages un certain nombre de coquilles (et quelques concordances de temps hasardeuses – oui oui je suis la relou de service avec les coquilles et tout ça). Ensuite et surtout… je n’ai pas compris l’épilogue. Frustrant, et ce d’autant plus que le reste du livre était particulièrement clair, y compris les passages très développés sur les réflexions politiques, juridiques et morales des personnages ! L’enquête est clôturée sans anicroche, et le dénouement vaut bien le coup d’avoir suivi tout le cheminement de Finker… et au final, je me suis retrouvée démunie aux dernières pages. J’en ai saisi l’importance (comment en serait-il autrement pour les dernières lignes d’un roman ?) et le sens concret mais pas l’intérêt pour l’histoire, et je sens que je suis passée à côté de quelque chose (impossible de savoir si cela aurait donné une toute autre interprétation du livre qui était pour moi par ailleurs fini…). Dommage, surtout que j’ai également l’impression d’être la première à ne pas aller jusqu’au bout du bout de Habeas Corpus (c’est la minute où je passe pour une bécasse, voilà voilà). Autre souci tout à fait subjectif, j’ai eu du mal à m’attacher à la lutte des personnages (attention, pas aux personnages en eux-mêmes, qui sont somme toute tous bien creusés et dont on suit avec intérêt les manoeuvres et les pensées). Les événements qui sont décrits sont qualifiés par les protagonistes d’inhumains, et le sont objectivement… et pourtant (c’est la minute bis où je passe pour une personne insensible !) je n’ai pas réussi à me révolter avec eux. Leurs réactions ne se sont pas communiquées à moi, et j’ai eu de la peine à en saisir l’ampleur (clairement, tout cela ne me choquait pas autant qu’eux) : problème d’identification qui m’est entièrement imputable, peut-être dû à une accoutumance aux problématiques des mondes dystopiques, mais qui a aussi influencé ma lecture.
Résumons. J’ai passé un excellent moment de lecture et de réflexion avec Habeas Corpus. Mêlant une enquête trépidante et des passages philosophiques ultra-pertinents, le livre de Victor Boissel bouscule les lieux communs, et soulève sans état d’âme des vérités dérangeantes (« – Vous me glacez le sang. – C’est ma franchise qui vous glace le sang, pas ma réalité. Cette réalité est partout, c’est la franchise qui est rare.« ). Esthétiquement très réussi et maniant une langue riche et soignée, cet ouvrage donne à son contenu un écrin de mots remarquable d’efficacité. Malheureusement, j’ai eu du mal à m’impliquer dans la lutte des personnages autant que je l’aurais voulu, et surtout l’épilogue m’a perdue, à n’en plus savoir si j’avais interprété l’histoire correctement ou si j’avais vraiment manqué quelque chose. Ces derniers points étant très personnels, je ne pense pas qu’ils se retrouveraient forcément chez d’autres lecteurs. Je ne peux donc que vous conseiller de lire Habeas Corpus, pour son ton incisif et impertinent, son style ciselé et son fond plus que fascinant.
> BOISSEL, Victor – Habeas Corpus – auto-édité et disponible ici. Retrouvez l’auteur ici.