[aparté] #femini-books – sept poétesses francophones à découvrir

Salut le monde !

Avant de commencer, petit point contexte : cet article participe au Femini-books, un projet lancé par Opalyne. Visant à parler féminisme et littérature sur la blogosphère, le Femini-books vous propose de découvrir pendant un mois une chaîne de vidéos et d’articles de blog. Hier, Camille Néel vous parlait de Dirty week-end de Helen Zahavi, et demain, n’oubliez pas de vous tenir aux aguets sur la géniale chaîne de Mx Cordélia et sur le chouette blog de La puce à l’oreille ! Retrouvez aussi mes précédentes participations ici (poétesses féministes du monde entier) et ici (les petites filles pas sages en littérature de jeunesse).

Pour ma part, je vous emmène découvrir sept poétesses francophones et leur oeuvre ! J’avais à l’origine un tout autre projet pour cet article mais, well, la vie fait sa vie et je n’ai pas pu mettre la main sur les livres que j’aurais voulu lire. (Teaser : je comptais parler de littérature féministe finlandaise et oups, il se trouve que les quatre titres que j’avais repérés n’étaient nulle part à Paris. Genre, vraiment.) Qu’à cela ne tienne, j’ai sorti de ma bibliothèque l’anthologie Poèmes de femmes de Régine Deforges, et hop j’étais back on track !

Ce livre-ci est une petite briquette et se présente comme une « sélection très personnelle, très éclectique, de plus de cent femmes poètes, s’exprimant en langue française« , mais aussi comme un « plaidoyer » pour « le droit des femmes à exister par elles-mêmes [et] à être jugées et appréciées pour leurs talents propres ». De fait, cette anthologie présente pour chaque autrice une mini-mini-biographie et quelques poèmes, juste de quoi se faire une idée et aller en lire plus. Du coup, en brave lectrice, j’ai parcouru tout l’ouvrage et j’ai sélectionné les poétesses dont les textes me parlaient le plus pour aller voir si je pouvais trouver davantage de leurs poèmes en ligne (je n’avais pas le temps d’aller acheter les recueils, mais le cœur y était). C’est après cette quête que je vous retrouve aujourd’hui avec mes sept favorites parmi celles lisibles en ligne, pour vous donner envie d’en découvrir davantage (et pour moi aussi me motiver à lire toujours plus de poésie). Enjoy!

  Le Point de non-retour par Curtil 

¤ Jocelyne Curtil (1935 – 2017) ¤

Le poème de l’anthologie qui m’a donné envie d’en lire plus : Plaine de Brie.

C’est si plein d’oiseaux
quand le champ ouvre ses ailes
pour se perdre dans l’horizon
et dans les herbes
qu’il faut bien treize mâchoires mécaniques
et treize crachoirs de lourde pestilence
pour inviter ici
la mort.

Seules vous restez
pâles gardes-barrière
qui ne furent jamais du voyage
qui dormez nues dans les violons éteints
avec des lapins de misère.


Quelques précisions sur l’autrice : Poétesse d’origine bourguignonne, Jocelyne Curtil a aussi vécu en Nouvelle-Calédonie, en Inde et au Japon. Engagée et sensible, sa poésie joue avec le langage en toute liberté.

Un autre poème : Je me cache dans les bagages du soleil.

Le soleil aujourd’hui,
je me le suis donné.
J’en ai mis plein mes poches
et dans d’autres endroits
où mes mains ne vont pas.
Je peux escalader
ce qui me séparait.
Je peux montrer aux gens
comment c’est, la lumière.
Je me cache dans les bagages du soleil, à liserés de source,
à serrures de cigales.
Le soleil meurt : son sang ruisselle aux devantures.


En lire un peu plus (avant d’aller acheter un recueil of course hein tss) : ici et ici.

  Poems & Poemes; Autres Alliances par Clifford Barney

¤ Natalie Clifford Barney (1876 – 1972) ¤

Le poème de l’anthologie qui m’a donné envie d’en lire plus : Méduses.

Dans la forêt de mort, sans saisons, sans feuillages,
– Où la sève des pins, de leurs troncs mutilés,
Coule en lente agonie – il est un exilé
De la vie, attendant de vains appareillages.

Il regarde la vague apporter sur la plage
Les masques transparents, aux traits annihilés,
Des méduses. – Semblable aux ruines de Philae,
À ces visages d’eau s’oppose son visage.

Masques faits et défaits du mouvement des flots,
La mer toujours les roule à même ses sanglots,
Des soleils de minuit jusqu’à l’aube des lunes.

Les immolés ont tous la face de Jésus,
Qui, des sables passifs, rejetés par le flux,
Comptent le temps sans fin au sablier des dunes.


Quelques précisions sur l’autrice : Salonnière parisienne d’origine américaine, Natalie Clifford était ouvertement lesbienne et féministe. Elle a tenu pendant près de 60 ans des salons littéraires où étaient mises en valeur nombre d’écrivaines et où se rencontraient les personnalités artistiques influentes de son époque.

Un autre poème : Vers libres.

Ils sont là, quelque part, les êtres de mon cœur,
Dans de sombres demeures,
Gardés par des esclaves…
Moi, je vais sans entraves,
Et me navre de leurs peurs.

J’abattrai les cloisons
De leurs dures maisons,
Les sauvant de leurs murs,
Car c’est moi qui endure
La vue de leurs prisons…

Et pendant que toi tu dors,
C’est moi que l’on enferme — dehors !


En lire un peu plus : ici ou ici.

francoise lison leroy photo    Le Temps tarmac par Lison-Leroy

¤ Françoise Lison-Leroy (1951 – aujourd’hui) ¤

Le poème de l’anthologie qui m’a donné envie d’en lire plus : Le temps n’est pas à nous.

Le temps n’est pas à nous,
ni l’espace. Parfois le rail déchire l’étreinte.
Parfois l’été. Et nous jetons des lignes
au-delà des lisières.
Tu dis qu’on n’oublie pas,
que les poings des horloges n’ont pas d’ombre,
que les tunnels protègent
des gares allumées. Tu me promets ta peau,
les taches rouges des champs sur la dune.
Nous revenons à nous.


Quelques précisions sur l’autrice : Écrivaine belge, Françoise Lison-Leroy propose une poésie tantôt exigeante car toute en sonorité et en ellipses, tantôt simple et touchante. Elle livre aussi des textes engagés sur l’actualité (Dites trente-deux) ou sur les migrations (Le Temps tarmac).

Deux autres extraits : issus du recueil Le Temps tarmac.

Je n’ai pas froid
pas la migraine
ni droits
ni faim
rien qu’une part du paysage 
celle qui m’entre par les yeux. 

Un ciel viendra
un autre
je reverrai ma rue
franchirai le seuil
en même temps qu’elle et lui
eux
les leurs
les miens
les lointains
les démis
la cordée reléguée.
Je serai l’insulaire au milieu des terriens.
Chacun, frappé d’exil, nouera l’alphabet.

En lire un peu plus : ici.

Louise Michel, grayscale.jpg  Oeuvres posthumes  La Commune. Histoire et Souvenirs par Michel

¤ Louise Michel (1830 – 1905) ¤

Le poème de l’anthologie qui m’a donné envie d’en lire plus : Chanson de cirque (Corrida de muerte).

Les hauts barons blasonnés d’or,
Les duchesses de similor,
Les viveuses toutes hagardes,
Les crevés aux faces blafardes,
Vont s’égayer. Ah ! oui, vraiment,
Jacques Bonhomme est bon enfant.

C’est du sang vermeil qu’ils vont voir.
Jadis, comme un rouge abattoir,
Paris ne fut pour eux qu’un drame
Et ce souvenir les affame ;
Ils en ont soif. Ah ! oui, vraiment,
Jacques Bonhommes est bon enfant.

Peut-être qu’ils visent plus haut :
Après le cirque, l’échafaud ;
La morgue corsera la fête.
Aujourd’hui seulement la bête,
Et demain l’homme. Ah ! oui, vraiment,
Jacques Bonhomme est bon enfant.

Les repus ont le rouge aux yeux,
Et cela fait songer les gueux,
Les gueux expirant de misère.
Tant mieux ! Aux fainéants la guerre ;
Ils ne diront plus si longtemps :
Jacques Bonhomme est bon enfant.


Quelques précisions sur l’autrice : Sûrement la plus connue de cette liste, Louise Michel était une militante révolutionnaire française, et son engagement explique une poésie toujours très politique et passionnée. Elle est considérée comme l’une des pionnières du féminisme grâce à son implication dans la lutte pour l’émancipation des femmes (voir ses mémoires ici et un extrait toujours terriblement d’actualité : « Esclave est le prolétaire, esclave entre tous est la femme du prolétaire. (…) Partout, l’homme souffre dans la société maudite ; mais nulle douleur n’est comparable à celle de la femme. / Dans la rue, elle est une marchandise. (…) Dans le monde, elle ploie sous le dégoût ; dans son ménage le fardeau l’écrase ; l’homme tient à ce qu’elle reste ainsi, pour être sûr qu’elle n’empiétera ni sur ses fonctions, ni sur ses titres. »).

Un autre poème : Manifestation de la paix.

C’est le soir, on s’en va marchant en longues files, 
Le long des boulevards, disant : la paix ! la paix ! 
Dans l’ombre on est guetté par les meutes serviles. 
Ô liberté ! ton jour viendra-t-il jamais ?
Et les pavés, frappés par les lourds coups de canne, 
Résonnent sourdement, le bandit veut durer ; 
Pour rafraîchir de sang son laurier qui se fane, 
Il lui faut des combats, dût la France sombrer.
Maudit ! de ton palais, sens-tu passer ces hommes ? 
C’est ta fin ! Les vois-tu, dans un songe effrayant, 
S’en aller dans Paris, pareils à des fantômes ? 
Entends-tu ? dans Paris dont tu boiras le sang.
Et la marche, scandée avec son rythme étrange,
À travers l’assommade, ainsi qu’un grand troupeau, 
Passe ; et César brandit, centuple, sa phalange 
Et pour frapper la France il fourbit son couteau.
Puisqu’il faut des combats, puisque l’on veut la guerre, 
Peuples, le front courbé, plus tristes que la mort,
C’est contre les tyrans qu’ensemble il faut la faire : 
Bonaparte et Guillaume auront le même sort.


En lire un peu plus : ici.

louise de vilmorin photo   

¤ Louise de Vilmorin (1902 – 1969) ¤

Le poème de l’anthologie qui m’a donné envie d’en lire plus : Passionnément.

Je l’aime un peu, beaucoup, passionnément,
Un peu c’est rare et beaucoup tout le temps.
Passionnément est dans tout mouvement :
Il est caché sous cet : un peu, bien sage
Et dans : beaucoup il bat sous mon corsage.
Passionnément ne dort pas davantage
Que mon amour aux pieds de mon amant
Et que ma lèvre en baisant son visage.


Quelques précisions sur l’autrice : Louise de Vilmorin était une romancière, scénariste et poétesse française. Dans ses textes, on retrouve souvent holorimes et jeux de langage (holorime = rime sur l’entièreté du vers et pas seulement sur la fin, ça c’est pour les petits joueurs : « Elle sort, là-bas, des menthes / La belle Ève à l’âme hantée / Et le sort l’abat, démente… / L’abbé laid va lamenter. »).

Un autre poème : Le garçon de Liège.

Un garçon de conte de fée
M’a fait un grand salut bourgeois
En plein vent, au bord d’une allée,
Debout sous l’arbre de la Loi.

Les oiseaux d’arrière-saison
Faisaient des leurs malgré la pluie
Et prise par ma déraison
J’osai lui crier : « Je m’ennuie. »

Sans dire un doux mot de menteur
Le soir dans ma chambre à tristesse
Il vint consoler ma pâleur.
Son ombre me fit des promesses.

Mais c’était un garçon de Liège,
Léger, léger comme le vent
Qui ne se prend à aucun piège
Et court les plaines de beau temps.

Et dans ma chemise de nuit,
Depuis lors quand je voudrais rire
Ah ! beau jeune homme je m’ennuie,
Ah ! dans ma chemise à mourir.


En lire un peu plus : ici.

anne perrier photo  La voie nomade et autres poèmes : Oeuvre complète 1952-2007 par Perrier  Oeuvre poétique (1952-1994) par Perrier

¤ Anne Perrier (1922 – 2017) ¤

Le poème de l’anthologie qui m’a donné envie d’en lire plus : On a creusé ma tombe.

On a creusé ma tombe
Au prochain cimetière
la terre sera prête
Moi non
La lumière sera pure
Moi non
Je suis l’enfant du sable
Et du limon
Les siècles passeront
Il faut tant d’eau
Pour laver une ombre

« Le temps est mort »


Quelques précisions sur l’autrice : Grande dame de la poésie suisse, Anne Perrier est la seule femme à avoir été lauréate du Grand prix national de la poésie française. Sa poésie est simple et juste, presque musicale dans ses rythmes et ses rimes.

Un autre poème (un extrait parce que c’est long) : Cantique du printemps.

Le ciel comme un grand oiseau
Vole nu
Le cœur prisonnier n’en peut plus
Et brise les barreaux
L’âme bourdonne dans la ruche
L’esprit monte et trébuche
Sur mille pensées mortes
Que le temps les emporte
Ce matin la vigne
Éclate au bord de la ravine
Va cœur d’hiver
Longtemps pris dans les glaces
Te souvient-il d’avoir souffert
Les saisons passent
Va l’heure est venue
Aujourd’hui de courir
À la rencontre de l’été
Mais les chemins de naguère
Se sont perdus dans la lumière
Est-ce mûrir est-ce mourir
Cette douceur inconnue


En lire un peu plus : ici.

francoise han photo   

¤ Françoise Hàn (1928 – 2020) ¤

Le poème de l’anthologie qui m’a donné envie d’en lire plus (un extrait parce que c’est long) : Les Dieux mayas.

La corde sur leur front retenant la journée
bien arrimée sur leur dos
ils passent le portail de fer
lourdement les heures
ajoutent pierre à pierre
le fardeau glisse et meurtrit l’épaule
le soir quand l’écran bleu s’allume
ils se délestent gauchement
et ne font pas l’inventaire

demain portera la même charge
et l’éternité court à leurs pieds
comme une fourmi besogneuse

Quelques précisions sur l’autrice : Écrivaine française, Françoise Hàn a travaillé dans l’édition scientifique et je trouve que cela se ressent dans la précision de ses phrasés et dans le choix de ses mots. Sa poésie est pointue, ancrée dans le réel et pourtant jamais trop terre-à-terre.

Un autre poème : Roches éruptives.

Comment les tutoyer ? Basalte, porphyre, feldspath, granit, les nommer quand elle sont immobiles ne dit rien de la violence qui les a projetées hors du magma originel.

Le feu n’y reprendra jamais. L’herbe ne saurait y pousser, encore moins les moissons. Leurs abîmes ne sont pas les nôtres. Elles ne sont pas les ruines de nos mondes anciens. Elles ne résument pas notre histoire, la supportent, blocs premiers, sans y prendre part. Elles sont d’un autre passage, plus lent que le nôtre. Beaucoup de temps est derrière elles, sans qu’elles nous aient attendus.

Gardent-elles mémoire de paysages que nous n’avons pas connus, que nous essayons, en fixant sur elles l’objectif, de faire reparaître sur les clichés ?

Elles n’ont pas été semées par un géant soucieux, comme le petit Poucet, de retrouver le chemin du retour chez soi. Elles ne jalonnent aucun projet d’itinéraire. Elles ne sont pas même les indices d’une errance.

Malgré tout, elles s’ancrent dans le poème et les mots se resserrent.


En lire un peu plus : ici.

Et voici pour cette petite sélection ! J’espère vous avoir donné envie de vous plonger dans l’œuvre des sept autrices présentées (chacune d’elles aurait sûrement mérité un article complet, mais une petite introduction c’est mieux que rien !) et j’ose croiser les doigts pour qu’au moins l’une d’entre elles soit une découverte pour vous. Allez, keep calm and read poetry, et à la prochaine ! ☼

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